Pour des légumes en liberté !

Assez régulièrement, je me retrouve à expliquer pourquoi je me méfie des plateformes hégémoniques qui nous fournissent des services et des contenus, souvent de façon gratuite ou pour un prix qui nous semble tout à fait raisonnable.

Je ne nie en rien les services et la facilité d’accès à ces outils qui nous permettent de trouver un magasin, de partager des documents, d’échanger avec des amis ou des inconnus, d’écouter de la musique, de regarder des films, d’acheter des biens difficiles à trouver, de se faire livrer un petit plat…

Au delà de la concentration de données sur les serveurs de quelques très grosses entreprises (et des risques de manipulation évidents), ce qui me gêne, c’est le système dans lequel nous nous enfonçons et les croyances du genre “c’est trop compliqué de faire autrement” qui se mettent en place.

Quelquefois, lorsque j’essaie d’expliquer ça, la personne en face me dit “mais arrête de me faire culpabiliser”. Loin de moi l’idée de jouer cette carte. Non, j’essaie simplement — peut-être maladroitement — de partager du questionnement.

Il faut bien comprendre que, techniquement, les grandes solutions de plateformes sont le plus souvent basées sur des technologies libres et ouvertes associées à quelques briques fermées et brevetées et, à la base de l’internet, il y a beaucoup d’intelligence collective et de biens communs.

Comparaison n’est pas raison, mais voici un petit tableau auquel j’ai pensé pour essayer d’expliquer le cheminement du “tout plateforme” vers le “contributif” en le comparant à l’approvisionnement en légumes frais.

Pour mes légumes…Pour mes données numériques…
J’achète mes légumes en grande surface sans trop regarder la provenance.J’utilise les plateformes qui se présentent à moi et qui proposent un service qui me plaît.
J’achète le plus souvent bio ou local, et de saison, et j’évite les grandes surfaces.J’évite les GAFAM&co, mais j’ai quand même quelques comptes ouverts, parce que c’est super pratique.
Je privilégie les achats bio, locaux et de saison chez un producteur que je connais.Mes emails sont stockés sur mon ordinateur ou un hébergeur que je connais. Mes réseaux sociaux sont libres et décentralisés. Je connais des hébergeurs tel que le réseau des CHATONS .
Je cultive mon jardin avec des plants et des graines que me donnent des amis ou que j’achète auprès de producteurs que je connais.J’ai monté mon propre serveur et j’héberge mes données sur des outils logiciels libres et open source. Je contribue financièrement à la création de nouveaux outils.
Je cultive mon jardin en partie avec des graines issues de mes récoltes et avec celles que j’achète ou récupère ailleurs. Je troque, partage ou revends mes graines et mes plants.J’ai monté mon propre serveur et j’héberge mes données sur des outils logiciels libres et open source. Je contribue financièrement et avec mes compétences (linguistiques, design, développement…) à la création de nouveaux outils.

Bien souvent, nous ne sommes pas dans une case ou une autre. Je peux cultiver mon jardin et aller quelquefois en grande surface “parce que c’est super pratique” (d’autant que toutes les grandes surfaces ne se valent pas).

Je ne dis pas que chacun devrait cultiver son lopin de terre, mais je pense que s’il y avait plus de maraîchers autour de nous, que ce métier était plus valorisé, nous mangerions mieux et nous serions moins nombreux à être tentés d’aller vers une grande surface.

Ce que je cherche à partager dans tout ça, c’est qu’il est sain de se poser des questions, sain de chercher à apprendre, sain d’aller vers ce que l’on ne connaît pas.

Derrière cela, il y a également la question de la société à laquelle nous aspirons. Il me semble qu’une société diverse, riche de ses différences ne peut se satisfaire d’algorithmes contrôlé par quelques multinationales.

Note :
Ce billet n’aurait pas existé sans les rencontres et le parcours geek qui est le mien depuis les années 90. Je pense notamment aux rencontres d’Autrans fin des années 90, début 2000. A l’apport d’initiatives telles que l’AFUL, l’APRIL ou Quadrature du Net. Dédicace toute spéciale à l’équipe de Framasoft qui nous invite à cultiver notre jardin depuis quelques années. Merci à toutes ces personnes qui s’investissent ainsi pour une vie numérique plus sobre et plus inclusive.

7 Comments

  1. Un petit billet qui a le mérite de poser de bonnes questions. Je pense personnellement que la plus grande difficulté que l’on rencontrera pour populariser un web libre et ouvert, c’est l’inculture globale des gens vis-à-vis de l’outil informatique. Je m’explique:

    – Les outils libres sont généralement moins connus / accessibles que leur pendant GAFAM

    – L’informatique hors-GAFAM, ça fait peur:
    * « Linux c’est pour les geeks, j’y comprends rien »
    * « Et mon Google Drive alors ? »
    * « Mais c’est moche! » (probablement mon préféré)

    Beaucoup privilégient le sexy et (trop) pratique par rapport au fonctionnel, au simple et à l’efficace. Je pense que ça vient d’un manque cruel d’éducation à l’informatique: le truc paraît mystique, peu de gens savent (ou s’intéressent à) comment fonctionne un ordinateur, un réseau, un service quelconque, et seul.e.s les geek.e.s donnent l’impression de savoir se servir pleinement d’un ordinateur…

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    1. Oui… cette question d’éducation aux outils est centrale. D’un autre côté, il faut reconnaître que bon nombres d’outils libres et ouverts sont rarement pensés sur le plan de l’utilisateur lambda. Il y a donc du travail à réaliser des 2 côtés : adapter des outils existants pour une prise en main plus aisée / favoriser la culture des outils informatique.

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  2. Merci et bravo pour ce billet. <3

    Maintenant, je me demande ce à quoi pourrait ressembler un round suivant inspiré de cet exercice incluant la notion de matériel libre dedans.

    Je pense par là :

    Parfois quelques personnes parlent de logiciel libre. Ok c'est cool.
    Moins fréquemment de matériel libre.
    Et encore moins de matériel libre de jardinage (râteau, tracteur, tondeuse, etc). Quelque fois les graines/semences et les brevets (avec très souvent beaucoup d'erreur de compréhension technique).
    Encore moins de matériel biologique et chimique libre.

    Bref,
    Merci de donner matière à réfléchir et s'inspirer, surtout matière à dialoguer entre les communautés de point de vue et de pratiques.

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