Nous sommes une belle nation dans un état schizophrène…

noussommesCette phrase résonne en moi depuis quelques jours et je me dis qu’elle résonnera peut-être ailleurs.

Lorsque je parle de nation, j’en prends la définition faite par Ernest Renan dans sa conférence en 1882 :

« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »

« L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »

Oui, nous sommes une belle nation : nous partageons des valeurs telles que l’égalité, la liberté, la fraternité. Notre histoire est riche d’hommes et de femmes qui ont marqué leur temps par leurs écrits, leurs découvertes, leur imagination et leur talent. Notre nation est multiple, accueillante, composée et fertile. l’Histoire en témoigne.

J’écris état, mais je pourrais sans doute écrire Etat.
Car, oui, notre état est schizophrène.

Nous devons une grande partie de notre confort quotidien à l’exploitation sans vergogne des ressources naturelles et au travail d’ouvriers sous-payés à l’autre bout de la planète.

Une partie de notre richesse nationale vient de la vente d’armes et de l’exportation de centrales nucléaires dont personne ne sait à ce jour gérer les déchets et qui incite à l’exploitation de l’uranium.

Nous acceptons que l’argent que nous plaçons dans les banques serve à financer des armes ou la déforestation.

Nous ne voyons pas d’inconvénient majeur à ce que les principaux médias de notre pays appartiennent à des vendeurs de luxe ou de canon.

Nous laissons des personnes à la rue alors qu’il existe des locaux vides.

Nous tolérons des écarts de salaire entre des personnes à compétences égales uniquement parce qu’elle sont de sexe différents.

Bien entendu, cette liste est loin d’être exhaustive.

En tant que nation, où est la cohérence entre nos valeurs et nos actions ?
Quel est aujourd’hui notre projet commun ?

Ce 16 novembre, le Président de la République, a annoncé vouloir changer la constitution.

Soit ! Allons-y ! mais alors profitons-en pour y mettre du sens, de la cohérence.

Et pendant que nous y sommes, pourquoi ne pas associer les citoyens à la révision (ou à l’écriture) de cette constitution comme le propose Raquel Garrido ?

 

Et vous, que faisiez-vous ce week-end, après le 13 novembre ?

Je sors d’une bulle…

Vendredi soir, j’étais sur Paris, tranquillement à l’abri, assis sur un canapé après une belle journée de ventes et de rencontres sur le salon Marjolaine lorsque j’ai lu les premiers tweets mentionnant les explosions à St Denis et les fusillades au cœur de la capitale.

Sidération, colère, profonde tristesse, pensées pour les morts et leurs familles. Je vois également apparaître le hashtag #porteouverte et mon cœur se réchauffe. Mais aucune envie de réagir à chaud.

Quelques minutes plus tard, j’entendais les sirènes et les hélicoptères. Des sons qui m’ont accompagné jusqu’à ce que le sommeil gagne la partie.

Le lendemain, je n’avais qu’une envie : rentrer à la maison, retrouver mes enfants, serrer dans mes bras celle qui partage ma vie, prendre du temps avec mes proches et célébrer la vie dans ce qu’elle a de plus simple. J’y ai cru quelques heures. Vers 10h, le salon annonçait sa fermeture : les deux derniers jours du salon étaient annulés, nous allions démonter et reprendre la route.

FB2

Finalement, vers 15h le samedi, la préfecture a laissé aux organisateurs la responsabilité d’ouvrir ou fermer pour le lendemain et la SPAS (la société organisatrice du salon Marjolaine) a choisi de maintenir l’ouverture et de renforcer la sécurité aux abords du lieu d’exposition.

Avec Aline, nous étions partagés entre retrouver nos proches ou rester une journée de plus. Ce questionnement était celui d’un bon nombre d’exposants, d’autant que rien ne garantissait que la préfecture n’interdirait pas la manifestation au dernier moment le dimanche matin.

« Acte de résistance » ou « Recueillement » ?

Je n’avais pas le cœur à vendre. Le cœur à partager, à échanger, oui. Mais pas à vendre. Je trouvais même indécent l’idée de vendre. J’étais psychologiquement, émotionnellement en état de deuil.

D’un autre côté, « la vie continuait », un sentiment de culpabilité s’insinuait chez ceux qui quittaient le salon, quelques tensions naissaient entre exposants.

« Restons, c’est un acte de résistance » disaient les uns. « Soyons honnêtes, oui, nous proposons un autre modèle de société, mais ici, ça reste quand même un vaste supermarché« , « alors, restons, mais ré-inventons cette journée de dimanche » disaient d’autres, « Il n’y aura qu’une poignée de visiteurs » pensait la majorité.

Finalement, chacun prit sa décision en conscience, en fonction de ses impératifs et nous nous sommes donnés rendez-vous pour le dimanche matin.

Une journée étonnante

Dès 10h, une centaine de visiteurs commençaient à patienter pour l’ouverture des portes à 10h30.

C’était maintenant une évidence : le salon ouvrait. Rapidement, avec quelques amis, nous avons ré-organisé l’espace : certains stands étaient vides, il était plus cohérent de nous rassembler, même si les plans affichés n’étaient pas respectés. (pour l’anecdote, un ami a même profité de l’occasion pour « braquer » le stand d’une banque).

Avec Aline, pas plus que la veille, nous n’avions le cœur à vendre, mais nous étions là. Aline avait le cœur à dessiner et je l’avais à discuter, à comprendre pourquoi j’étais ici alors que j’avais envie d’être chez moi.

Je me suis donc installé sur une petite table, à l’ancien emplacement de notre stand, et sur notre nouvel espace, Aline accueillait les personnes qui souhaitaient en savoir plus sur nos livres, le jeu Emotions Monstres nous a même étonné en sortant un tirage d’une synchronicité particulière.

A ma petite table je buvais mon thé, discutais et donnais « Se changer les idées », ce livre co-écrit à 40 mains, imaginé avec Aline et Dominique suite aux événements de janvier.

Petit à petit, en échangeant avec les visiteurs, simplement, de cœur à cœur, en leur demandant pourquoi ils étaient venus ici ce dimanche matin au lieu de se retrouver avec des amis pour se promener dans les rues ou s’installer dans un parc, j’ai pris conscience de l’importance de l’impact d’un rendez-vous tel que Marjolaine pour eux :

  • La majorité avait de toute façon prévu de venir, et ces personnes ne voulaient pas se laisser dicter leur conduite par des actes terroristes.
  • Plusieurs personnes m’ont dit qu’elle venaient pour rencontrer les exposants : nous sommes des personnes qui incarnons concrètement le changement auquel elles aspirent (il y a peu de revendeurs sur ce salon, principalement des producteurs et des artisans).
  • D’autres ne venaient que pour les conférences et les ateliers (à nouveau le besoin de rencontres et échange).

Au fur et à mesure de ces discussions, j’ai retrouvé le sens d’être présent en ce lieu, avec ces personnes. En début d’après-midi j’ai délaissé ma petite table et j’ai rejoins Aline et l’ensemble des livres que nous proposions.

Les échanges ont continué tout au long de la journée, j’ai repris goût à présenter nos livres, à raconter l’histoire de la maison. Par moment, de façon fugace je percevais encore l’incongruité d’être là mais une parole, un sourire de visiteur, me rappelait que, oui, ma place ici était juste.

Bien entendu, j’aurais également été à ma place chez moi, à échanger avec mes enfants, à tenir la main de ma bien-aimée.
Bien entendu, nous aurions pu – avec l’organisateur et l’ensemble des exposants – donner une tonalité différente à cette journée de dimanche (un ami avait évoqué l’idée d’emmener tous les légumes restants pour une maxi disco-soupe).
Mais au final, je n’ai aucun regret. Nous avons passé des moments riches, des moments d’humanité partagée. Et même si, par moment, il pouvait y avoir un échange commercial, celui-ci n’était pas la finalité de l’échange.

Ces deux journées ont été comme une bulle hors du temps. Je n’ai pas écouté la radio, pas lu les journaux, juste lu les tweets le vendredi soir puis, les jours suivants entendu les témoignages des exposants qui étaient dans le 10e et le 11e.

Ce lundi, je reprends pied avec le reste du monde. Ce midi, nous étions sur la place de la mairie pour la minute de silence. A la maison, j’écoute à nouveau les informations. Tant de questions, tant de choses à dire…